Les bulles financières résultent généralement de valorisations irréalistes et de l’activité spéculative. La question de savoir si nous sommes face à une bulle financière en 2024 repose sur le lien entre l’IA et la domination des actions des Magnificent Seven.
Si l’on prend l’exemple d’un vol en montgolfière, il est facile de comprendre la fragilité associée au fait de flotter comme « un nuage dans un sac de papier », pour citer l’un de ses inventeurs, Joseph Montgolfier. Quels que soient les adjectifs utilisés pour qualifier l’expérience, chaque passager espère que le vol va continuer sa trajectoire ascendante, plutôt que de piquer vers le sol de manière incontrôlable.
Ce sentiment d’insécurité se rapproche souvent de celui qu’éprouvent les investisseurs boursiers. Une longue période de hausse des cours des actions invite toujours à la spéculation quant à l’éventualité d’une bulle financière, et si la bulle éclate, la situation peut devenir aussi critique pour l’investisseur en actions que pour le passager dont la nacelle descend à toute vitesse.
En mars, les recherches sur Google portant sur le terme « stock bubble » (bulle boursière) ont atteint un niveau inégalé depuis plus de deux ans,1 et ce même thème à fait l’objet de divers articles d’opinion dans Bloomberg, de publications sur LinkedIn et d’une intéressante page de couverture de l’hebdomadaire The Economist. Le simple fait que tant de personnes se posent cette question indique un degré de prudence, signe qu’il est peu probable que nous ayons déjà atteint les dernières phases d’une bulle.2 Cependant, nous savons avec quelle rapidité le sentiment des investisseurs peut changer et à quel point la perception générale d’une expansion continue du marché peut influencer la demande à la hausse.
Après tout, les bulles financières résultent généralement de valorisations irréalistes et de l’activité spéculative. La question de savoir s’il y aura (ou non) une bulle en 2024 dépend en grande partie du lien entre le thème tendance de l’intelligence artificielle (IA) et la domination d’un petit nombre de géants américains sur la capitalisation boursière mondiale : les Magnificent Seven (Microsoft, Amazon, Meta, Apple, Alphabet, Nvidia et Tesla).
Qu’est-ce qu’une bulle financière ?
Une bulle financière (ou bulle spéculative) se produit lorsque le prix des actifs, tels que les actions, l’immobilier ou les matières premières, augmente largement plus que leur valeur intrinsèque, principalement en raison de la spéculation plutôt que de facteurs fondamentaux. Cette flambée des prix est généralement alimentée par l’optimisme des investisseurs, la mentalité grégaire et l’anticipation d’une croissance future.
Néanmoins, le sentiment des investisseurs finit par changer et la bulle éclate, ce qui entraîne une chute des prix aussi importante que soudaine. Les investisseurs peuvent alors se précipiter pour vendre leurs actifs surévalués, certains enregistrant même des pertes financières. Dans les cas graves, une bulle financière peut avoir des implications économiques plus larges, et provoquer une crise financière ou une récession.
Si l’on ne tient pas compte de la « crise de la tulipe », une bulle spéculative qui a éclaté au XVIIe siècle, on considère généralement qu’il y a eu trois grandes bulles depuis 1960, chacune ayant concentré la capitalisation boursière mondiale pendant une période donnée.
Il y a d’abord eu l’époque des actions « Nifty Fifty » (1965 à 1972), au cours de laquelle environ cinquante très grandes entreprises américaines ont dominé le monde dans divers secteurs d’activité (IBM, McDonald’s, Coca-Cola, Xerox, etc.), ce qui a rendu ces titres incontournables aux yeux des épargnants, quel que soit leur prix.
Puis il y a eu la bulle japonaise des années 1980. La domination apparente du Japon sur le monde économique et financier a entraîné une gigantesque réorientation de la capitalisation mondiale en faveur des actions japonaises, qui représentaient plus de 40 % de l’indice MSCI World index à la fin des années 1980.
Enfin, nous avons assisté à la bulle Internet des années 1995 à 2000, alimentée non seulement par les titres des grandes sociétés de télécommunication et d’informatique, mais aussi par toutes les grandes valeurs de croissance. Les investisseurs ont massivement investi dans les « start-up Internet », souvent sans même s’intéresser aux indicateurs de valorisation traditionnels. La bulle a éclaté suite à l’évolution du sentiment des investisseurs au début des années 2000, entraînant une forte baisse des cours des actions alors que de nombreuses sociétés Internet surévaluées mettaient la clef sous la porte.
Y a-t-il des indicateurs évidents ?
Repérer une bulle financière peut se révéler compliqué, mais certains indicateurs clés peuvent annoncer qu’une bulle est en train de se former ou qu’elle existe déjà. Quelques signes annonciateurs :
- Des prix élevés par rapport à la valeur : le prix d’un actif a grimpé beaucoup plus rapidement ou de manière disproportionnée par rapport à ce que suggèrent ses fondamentaux sous-jacents.
- Un effet de levier excessif et des taux d’intérêt bas : les investisseurs ont emprunté massivement pour financer leurs investissements, ce qui peut indiquer une prise de risque accrue et les rendre plus vulnérables à une vente forcée. La faiblesse des taux d’intérêt ou des baisses de taux peuvent diminuer le coût de l’emprunt, et amorcer cette tendance.
- Une activité spéculative accrue : une forte hausse de l’activité spéculative, telle que le day trading, peut indiquer que les investisseurs se concentrent davantage sur les fluctuations des prix à court terme que sur les fondamentaux à long terme.
- Un sentiment haussier : les investisseurs font preuve d’un optimisme extrême ou négligent les inquiétudes concernant les valorisations ou les risques. Ce vent d’optimisme peut se doubler d’une ruée de nouveaux acheteurs sur le marché en raison de la perception de gains financiers rapides et faciles.
Certains de ces indicateurs, voire tous, étaient présents lors de nombreuses bulles financières historiques, des Années folles (1920) à la crise financière mondiale de 2007/2008. Toutefois, le marché d’aujourd’hui est plus souvent comparé à la bulle Internet de la fin des années 1990, lorsque la généralisation de l’accès à Internet a favorisé une hausse rapide des valorisations des sociétés basées sur Internet. Si la bulle Internet s’est formée sur la base d’une croyance dans le pouvoir révolutionnaire de cette technologie, certains esprits sceptiques suggèrent qu’une tendance similaire se dessine actuellement en raison de la frénésie autour de l’IA générative.
Alors, sommes-nous dans une bulle ou non ?
Il est indéniable que les marchés sont en hausse depuis le début de 2024, le S&P500 ayant clôturé à un niveau record en janvier, avant de battre ce même record à peine deux mois plus tard.3 Une grande partie de cette croissance est due aux Magnificent Seven, dont la capitalisation boursière a augmenté de plus de 80 % depuis janvier 2023.4
Bien que ces gains puissent paraître impressionnants, une analyse plus nuancée indique que nous ne sommes pas dans le cadre d’une bulle, du moins pas encore. Voici pourquoi.
Tout d’abord, les professionnels de la finance ont remarqué que les valorisations actuelles semblent moins extravagantes qu’il y a trois ans, lorsque la saga des actions-mèmes battait son plein, qui est peut-être l’exemple le plus récent et le plus flagrant d’une surévaluation. L’enthousiasme se concentre de manière plutôt classique autour de sociétés établies qui affichent de solides bénéfices, plutôt qu’autour d’un groupe d’étoiles filantes aussi tendance qu’éphémères. Les ratios cours/bénéfice indiquent que les Magnificent Seven sont plus étroitement alignés sur le marché dans son ensemble qu’il y a trois ans, certains analystes suggérant même que ces sociétés se négocient à bas prix.5
En outre, lorsque l’on compare la situation présente aux bulles précédentes, les montants des dettes de marge sont relativement limités sur le marché actuel. L’activité des options, qui sert de baromètre du comportement spéculatif, se maintient également dans la moyenne, et si de nouveaux acheteurs sont entrés sur le marché, leur activité reste plutôt modeste.
Que doivent savoir les investisseurs ?
Si les investisseurs semblent s’accorder sur le fait que nous ne sommes pas encore dans une bulle financière, il est important de comprendre ce qui pourrait nous y mener.
Les taux d’intérêt constituent le premier facteur déterminant. Des taux faibles signifient qu’il est possible d’emprunter à peu de frais, ce qui peut encourager les traders à investir des capitaux et pousser le marché à la hausse. La Réserve Fédérale américaine (Fed) devrait procéder à plusieurs réductions de ses taux directeurs en 2024, ce qui trancherait radicalement avec l’environnement de taux élevés de ces dernières années. Les baisses de taux pourraient entraîner un afflux de capitaux sur le marché et renforcer la tendance à la hausse.
Cependant, une inflation plus forte que prévu pourrait signifier que la Fed ne réduirait pas ses taux, ou les réduirait moins que ce qui est attendu.6 Ce « pivot » pourrait alimenter l’incertitude au sein de l’économie, générant une pression de vente et un ralentissement potentiel.
Le deuxième facteur est l’IA générative. Si les Magnificent Seven dominent sans conteste les marchés, une analyse plus poussée révèle des perspectives plus nuancées. Les trajectoires de ces sociétés semblent diverger, et si Nvidia et Meta Platforms montent en flèche,7 Tesla et Apple sont en train de s’effondrer. Nvidia, en particulier, a vu le cours de ses actions augmenter de près de 90 % cette année.8
La croissance de Nvidia et de Meta a été attribuée aux investissements que ces deux sociétés ont réalisés dans l’IA générative, qui devrait, selon de nombreux professionnels de la finance, révolutionner le marché du travail et l’économie. Cependant, si cette nouvelle technologie ne tient pas ses ambitieuses promesses, il est possible que nous assistions à une correction de marché considérable.
Par ailleurs, il n’est pas trop tôt pour prendre des précautions contre la concentration record du marché autour de seulement quelques valeurs. En effet, cette même concentration est à l’origine de la nouvelle problématique du risque spécifique à l’entreprise, un type de risque traditionnellement très dilué dans les principaux indices boursiers mondiaux, même lors de bulles financières.
La question de ce risque spécifique commence à prendre forme en raison du fait que trois des Magnificent Seven, Tesla, Apple et Google, ont perdu de la valeur sur des marchés en hausse depuis le début de l’année. Pour l’instant, ces baisses de valeur ont été plus que compensées par les performances stellaires de Nvidia et Meta, mais rien ne garantit que cela va continuer.
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