Il y a un mois, les acteurs du secteur de la défense et les producteurs de pétrole étaient considérés comme les moins bons élèves sur le plan social à l’échelle mondiale. Les sociétés de recherche ESG, comme Morningstar Sustainalytics, estimaient que même les groupes pétroliers et de défense les plus responsables affichaient des risques ESG « supérieurs à la moyenne », et la plupart présentaient des profils encore plus défavorables. Certaines institutions, comme le fonds de dotation de Harvard et la Fondation Ford, ont annoncé des plans de sortie des combustibles fossiles en réponse aux pressions extérieures, et de nombreuses autres sociétés d'investissement ayant de bonnes références ESG se sont engagées à ne plus investir dans ces deux secteurs. Ainsi, sur la base des problématiques ESG, de nombreux investisseurs ont décidé de ne plus injecter de capitaux dans les entreprises pétrolières et de défense.

Un mois plus tard, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a amené de nombreux acteurs de marché à revoir leurs critères ESG. La banque suédoise SEB, par exemple, ne s’interdit plus d’investir dans des actions du secteur de la défense dans plusieurs de ses fonds ESG. De même, Citigroup a publié des recherches plaidant pour une inclusion des entreprises de défense dans ses mandats ESG. Quant à l'Union européenne, elle devrait classer ce secteur dans la catégorie des entreprises socialement éligibles dans sa future taxonomie sociale (c'est-à-dire ses lignes directrices appliquées aux investissements ayant un impact social positif). Un processus de réévaluation similaire est en cours dans le secteur pétrolier, dans lequel la dépendance à l'égard des exportations russes suscite de nouvelles velléités d’indépendance énergétique et une augmentation des investissements américains et européens dans les énergies renouvelables et les hydrocarbures. D’un coup d’un seul, les industries de la défense et du pétrole ont donc pu accéder de nouveau à des fonds qui leur étaient interdits il y a seulement un mois.

Une question se pose : qu’ont appris les investisseurs au cours du mois dernier pour justifier un changement de cap aussi radical ? Inutile d'avoir beaucoup d'imagination pour déterminer les produits des entreprises du secteur de la défense qui peuvent être utilisés, à bon ou mauvais escient, en fonction des circonstances. Et il n'est pas nécessaire d'être visionnaire pour comprendre que le pétrole restera essentiel à la société dans les années à venir, même si les investissements dans les énergies renouvelables augmentent rapidement. En outre, la production de ces entreprises ne peut pas évoluer aussi rapidement que les points de vue de ces investisseurs. Il faut des années pour rechercher, développer et fabriquer des systèmes d'armement avancés. Et il faut encore plus de temps pour trouver un substitut aux exportations d'énergie d'un grand producteur d’hydrocarbures comme la Russie. Par conséquent, même si l'accès soudain de ces entreprises à des sources de financement peut influencer leur production dans les années à venir, il est peu probable qu'il contribue à résoudre les crises actuelles.

Seul problème, la plupart des investisseurs ne disposent pas d’un horizon temporel suffisamment long pour que les enjeux ESG se répercutent sur les résultats opérationnels des entreprises. Par conséquent, nombre de ces investisseurs se contentent de raccourcis, en classant de force les entreprises dans des catégories ESG « positives » et « négatives » et en cédant leurs positions sur les moins bons élèves. Il s’agit cependant d’une approche assez grossière aux conséquences potentiellement graves dans la mesure où définir deux catégories ESG distinctes ne permet pas de tenir compte des divers impacts que ces entreprises ont sur la société tout entière.

En réalité, quelles que soient les entreprises concernées, les investissements ne sont pas intégralement blancs ou noirs. Les sociétés du secteur de la défense sont bénéfiques lorsqu'elles protègent les innocents et nuisibles lorsqu'elles permettent aux coupables de mener leur plan à bien. De même, les combustibles fossiles sont nocifs pour l'environnement et essentiels au fonctionnement de la société. Plutôt que d'ignorer cette situation complexe, les investisseurs soucieux des enjeux ESG devraient selon nous s’efforcer de trouver un juste équilibre et de prendre des décisions produisant les meilleurs résultats possibles sur le long terme. Autrement dit, reconnaître que la production de pétrole restera essentielle à la société à moyen terme et que les coûts environnementaux finiront par entraîner une baisse de la demande. Ces deux facteurs contradictoires doivent être intégrés dès aujourd'hui dans les valorisations des investissements pétroliers et gaziers. Lorsque les titres des compagnies pétrolières peuvent être achetés à des prix qui compensent ces problématiques, même les investisseurs soucieux des enjeux ESG devraient être intéressés.

Cela fait longtemps que nous avons adopté cette approche plus judicieuse. En tant qu'adeptes des titres value, nous prenons nos décisions d'investissement en adoptant l’attitude d’un actionnaire d'entreprise à long terme. Les considérations ESG, comme tous les facteurs qui influencent la valeur des entreprises, sont une composante essentielle de notre processus de recherche. Après tout, une entreprise ne peut pas s’affranchir de ses partenaires ou de l'environnement pendant longtemps sans que les actionnaires, comme nous, en paient le prix. Selon nous, avec un horizon temporel suffisamment long, rien ne différencie les décisions prises dans le meilleur intérêt des parties prenantes de celles prises dans le meilleur intérêt des actionnaires. Ce qui maximise la valeur pour l'un maximise généralement la valeur pour l'autre.

Notre approche à long terme est qualifiée de solution « complémentaire », c’est-à-dire qui répond à la fois aux intérêts des actionnaires et des parties prenantes. En acceptant que les coûts environnementaux finiront par réduire la demande de pétrole et en réduisant en conséquence nos estimations de la valeur des entreprises, nous renforçons nos exigences concernant les investissements dans le secteur du pétrole. Par ailleurs, nous pensons que certaines entreprises comme ConocoPhillips et EOG Resources présentent un potentiel de valorisation plus élevé, car elles prévoient de réduire leur recours au pétrole et leur production se concentre sur des segments à faibles émissions, comme les gisements de schiste des États-Unis. Il est important de noter que nous exerçons notre influence sans céder aveuglément des positions qui risqueraient de nuire à d'autres parties prenantes, comme les consommateurs qui dépendent du pétrole pour satisfaire leurs besoins énergétiques actuels. Enfin, nous investissons dans une perspective à long terme et en nous concentrant sur la valeur des entreprises, ce qui fait de nous une force stabilisatrice pour leurs responsables qui sont souvent déstabilisés par les modes et les tendances changeantes du marché. Au final, et cela n’a rien d’étonnant, nous considérons la gestion value à long terme comme la forme la plus aboutie de l’investissement ESG.

Rédigé en mars 2022
Les positions de nos portefeuilles ne constituent pas des recommandations en faveur de titres individuels et sont susceptibles d'être modifiées. Investir dans des titres value présente le risque que ces actions soient délaissées par les investisseurs et qu’elles sous-performent les valeurs de croissance pendant certaines périodes.

Les informations, données, analyses et opinions présentées dans ce document (y compris les thèmes d'investissement actuels, la recherche et le processus d'investissement des gérants de portefeuille, et les caractéristiques des portefeuilles) sont fournies à titre purement indicatif et représentent les vues et les investissements des gérants de portefeuille et d’Harris Associates L.P. à la date de rédaction. Elles sont soumises à modification et peuvent changer sans préavis en fonction de la conjoncture de marché et d'autres conditions.

Ce document est fourni exclusivement à titre indicatif et ne doit pas être considéré comme un conseil en investissement. Les opinions contenues dans le présent document reflètent le point de vue subjectif et les hypothèses de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement l'opinion de Natixis Investment Managers ou de ses affiliés. Les points de vue exprimés sont valables à fin mars 2022 et peuvent évoluer en fonction des conditions de marché et d’autres facteurs. Il n’est en aucun cas garanti que les éléments présentés dans ce document se dérouleront tel qu’anticipé, et les résultats réels sont susceptibles d’être différents.

Tout investissement comporte des risques, y compris le risque de pertes. Le risque d’investissement existe avec les actions, les obligations et les investissements alternatifs. Il n’existe aucune garantie qu’un investissement réalisera ses objectifs de performance ou que les pertes pourront être évitées. Il revient aux investisseurs de pleinement comprendre les risques associés à un investissement avant d’investir.